jeudi 19 août 2010

Ce que je sais des PYGMÉES!






Il y a quatre-vingts mille ans des humains ont choisi de vivre en forêt quand les autres essaimaient vers d’autres horizons. On les nomme Pygmée, pour leur refuser le nom d’homme sans doute vu ce qu’on leur fait endurer. Crainte atavique de ceux qui vivent de et par la forêt et connaissent tout d’elle. D’autres peuples de forêt sur toute la planète subissent le même sort au nom du profit, du pognon, de l’ignominie qui fait qu’il existe des hommes et au-delà des êtres humains qui savent le respect que méritent tous les êtres vivants, du virus invisible au monumental éléphant! Des bushmen et des Aborigènes et tant d’autres à qui l’on dénie le droit à la VIE !!!
Ce que je sais des Pygmées ne se trouve dans aucun livre !
Sinon celui de ma vie en Afrique et celui que j’ai écrit.
Érér’ikamaba La parole de l’arbre, s’il veut bien voir le jour !
Je vous livre quelques extraits d’événements authentiques et vérifiables, seulement pour cela, il faudra quitter son fauteuil, son écran et rentrer en brousse avec moi. Ils m’ont appris à la connaître et à ne pas m’y perdre, et de bien des façons !
Ou bien vouloir me lire et me croire sur parole. Je connais la valeur de ce mot, j’ai expérimenté la mienne et celle des autres …..Mé mya gnéza, je sais pardonner !

……..Bernard le pygmée, un autre de mes professeurs à moitié pygmée, son père était d’une autre ethnie. Il avait tout pris de sa mère, le faciès typique et à peine plus grand que les autres membres de son groupe. Il possédait cette intelligence faite de la connaissance intuitive de la nature. Elle perçait à travers son regard qui témoignait la gentillesse que ces humains là nourrissent, dont ils se nourrissent. Ils ne connaissent rien des fluctuations monétaires ni des cours si variables du pétrole mais savent tout de la forêt. Ils sont de ceux qui transmettent leur savoir par comportement atavique, sans rien attendre en retour, juste pour partager ce qu’ils peuvent enseigner, montrer ou dire. Ils ont des interdits qu’ils respectent et ne trahissent jamais. Ils les honorent en enseignant à ceux qui veulent, peuvent ou pourront peut-être un jour comprendre la forêt et se souvenir qu’elle a donné la vie à tout ce qui est sur terre et auront à leur tour envie de l’aider, de préserver sa beauté, de protéger la vie…..

……Quand il a osé admettre que nous pouvions devenir plus proche, que le blanc supposé chef voulait vraiment connaître ce que lui savait de la brousse, qu’il avait un savoir à transmettre, il s’est senti investi d’une grande responsabilité envers moi, ses ancêtres et la forêt. Il avait un pouvoir ! On lui confiait la surveillance du blanc, a lui le pygmée que même ses frères de couleur considéraient d’habitude comme un être issu d’une race inférieure. Le blanc était content, il était son élève et voulait savoir ce que lui seul pouvait lui apprendre. Nos rapports sont devenus différents quand il a compris que j’avais bien plus besoin d’un guide que d’un garde du corps et d’un banal professeur. Cela faisait une colossale différence ! Il en était conscient et m’a montré, appris la forêt. Il m’a présenté au peuple des arbres avant de me le faire connaître plus intimement. C’était un homme, sincère, un de ceux qui donnent sans attendre que l’on rende quoi que ce soit. Si tu le fais tant mieux sinon lui ne t’en voudra pas. Tu l’aideras peut-être un jour. Si tu ne peux pas, ce n’est pas grave il aura donné ce qu’il peut offrir. Il est bon et généreux, partage avec toi son savoir. C’est dans sa nature, son être. On veut les chasser, les tuer ou les parquer comme tant d’autres, Apaches, Sioux et j’en passe ou pire encore en faire des pantins. Comme ils l’ont fait aux Massaïs et à leurs lions, maintenant presque dressés, mécanisés. Pour l’argent, la bêtise, l’illusion superficielle d’un genre de vie supérieur. Parce que toi là, tu n’es qu’une chose vaguement humaine, je te regarde comme une marionnette et moi super-humain je te donne un peu de monnaie pour que tu t’exhibes et danses sans joie ni envie pour mon seul plaisir. Tout le monde dit que tu n’es qu’un grand enfant alors fais-moi rire. Toi tu ris tout le temps même quand tu souffres de faim et de soif ou des maladies que je t’ai transmises. Pour te récompenser je t’offre du papier avec de jolis dessins en couleur. Regarde ces signes, ce sont des chiffres. Tu ne sais même pas compter, cela ne fait rien. Prends ce bout de papier fait de fibres végétales, tu ne sais pas fabriquer ça, tu vois bien que je suis plus fort que toi. Mais ne me dis pas que je ne peux savoir où est ma faiblesse et sais seulement la masquer, l’escamoter pour mieux ne penser qu’à moi. Tu me donnes l’impression d’être moi-même un brave homme. Les arbres pleurent en silence !


……..N’importe où en forêt ils sont chez eux, ils en savent beaucoup. Ils attrapent tous les gibiers même l’éléphant. Ils ne craignent pas les gorilles ni les panthères ou les pythons qui seraient capables de les avaler vu leurs petites tailles. Ils savent soigner avec des feuilles et des racines, des écorces et des insectes. Ils fabriquent une poudre ou une sorte de pommade avec des têtes de termites qui soigne les infections les plus graves. Les pharmaciens blancs essaient de trouver leurs secrets, les pygmées ne veulent pas révéler ce que leurs ancêtres ont laissé. Beaucoup de gens les méprisent ou les craignent, ils les considèrent comme des sorciers malveillants, ils savent tant de la forêt que les peureux imbéciles les fuient. Pourtant ils sont gentils et accueillants, ils rient tout le temps et pour n’importe quoi, si tu tombes un jour sur un de leurs villages tu verras ! Il n’y a qu’à la chasse où ils restent silencieux, ils peuvent marcher sur des branches mortes ou des feuilles sèches aucun animal ne les entend approcher. Sinon ils sont très bavards et ils chantent souvent, tous les membres du village chantent ensemble chacun avec sa voix. Tu appelles ça des chants polyphoniques, certains blancs font ça aussi ils ont donc quelque chose en commun avec les pygmées !


…….Je n’aurais jamais imaginé avoir froid en forêt équatoriale au point de claquer des dents, je pouvais prendre la mesure de l’expression « trempé jusqu’aux os » Je n’étais pas le seul à grelotter, Bernard décida de faire un grand feu pour nous réchauffer avant de repartir au travail. Je ne voyais pas comment parvenir à faire un grand feu avec du bois forcément détrempé par cette grande pluie.
- Viens avec moi, tu vois les okoumés là-bas ? Allons-y, les autres vont ramasser beaucoup de branches pas trop grosses, on s’en fout si elles sont mouillées. Pierre, vient m’aider ! Tu vois la place où l’okoumé a été blessé, la résine a coulé sur la peau de l’arbre et elle a durci, on va ramasser beaucoup de cette résine. Voilà, maintenant on va mettre des morceaux de branches sur la terre pour que la résine ne la touche pas, il ne faut pas qu’elle se mouille encore ensemble avec la terre. Tu vois il y a beaucoup de résine, maintenant on va mettre tout autour des branches qui vont rester debout, il faut qu’on les pose comme le toit d’une maison et qu’elles se touchent en haut. La résine va brûler tout de suite même si la pluie l’a mouillée. C’est façon alcool qui y en a dedans qui brûle, la résine va chauffer le bois puis le sécher et le bois va brûler, après on ajoute seulement du bois et tu vas voir un grand feu je te dis. La pluie ou pas, ça va toujours brûler et on va se réchauffer !
Il riait Bernard le pygmée devant son grand feu, se réjouissait de la joie d’apporter le réconfort des flammes ! Tout le monde riait ou souriait, selon que l’on était réchauffé ou pas encore. Le feu après l’orage, je ressentais le sentiment de bien-être et de sécurité qu’éprouvaient nos ancêtres au fond de leurs cavernes. Le petit homme de la grande forêt avait réveillé ces sensations. Il ne savait pas très bien écrire ni lire, il se débrouillait avec les mots. Mathématique, physique, chimie, astronomie, philosophie, littérature, des mots peut-être des sons qu’il entendait et dont il ne comprenait ni le sens ni l’intérêt. Mais dans son environnement quelle science, quelle somme de connaissances, quelle efficacité !

…. En souriant il m’annonça qu’il allait en brousse pour trouver des feuilles qui me soigneraient rapidement. Il faisait nuit lorsqu’il revint avec Mme Pierre, il venait juste d’arriver et était fatigué. Il avait dû aller assez loin et tourner partout, partout, pour trouver ces fameuses feuilles qui aiment trop les bas fonds. Il avait marché en trébuchant dans la pénombre pour revenir au village. Il avait préparé une décoction qui fumait dans une gamelle et que je devais avaler. Il me prévint en riant que le goût était très mauvais et que j’allais beaucoup transpirer, uriner et certainement vomir mais je devais tout boire. « La force dans les feuilles va tuer le poison que les fourous t’ont piqué dedans. » C’était vraiment très amer mais mon docteur pygmée riait tant de mes grimaces que je ne voulais à aucun prix gâcher sa bonne humeur, elle était contagieuse et me faisait du bien, j’ai tout avalé. Il était plus qu’hilare en m’annonçant qu’il viendrait au milieu de la nuit pour une deuxième tournée.

C’était la dernière prise de cette soupe amère mais tellement efficace, je bus jusqu’à la dernière goutte le précieux liquide. Il avait bien ri de mes grimaces et semblait plus détendu qu’en revenant de brousse, je posais à nouveau des questions embarrassantes sur la composition du médicament. Il ne riait plus !
- Chef, tu recommences encore avec des questions sur des secrets que je ne peux pas te donner, même pas un petit bout de réponse. Ce que les anciens de ma race nous ont appris pour soigner, même si tu peux me faire du mal, je ne le dirais jamais ! On peut soigner si on veut, ça n’est pas obligatoire. J’aurais pu te laisser comme ça, qui peut savoir que je connais les plantes qui soignent cette fièvre là ? Nous jurons aux anciens qui nous apprennent des secrets de la brousse que jamais on va dire ou montrer à quelqu’un. Sinon on ment à nos ancêtres et là tant pis pour moi, je serais maudit pour toujours. Je peux montrer des petites choses mais ce qui peut sauver, je ne dois rien dire, jamais. C’est la forêt qui te soigne, ce sont ses feuilles avec la force que les esprits ont ajoutée dedans. Elle a aussi des feuilles qui se ressemblent et qui peuvent tuer si tu te trompes. Si je te dis que je t’ai soigné avec plusieurs feuilles différentes, je n’ai pas trahi les secrets mais tu ne peux pas savoir autre chose alors laisse-moi avec tes questions !


…….. Évidemment, impossible de savoir qui des feuilles ou du poison des fourous était à l’origine de cette impotence provisoire. Il ne le savait pas lui-même et c’était sans importance, il fallait avant tout soigner la fièvre !
- Ça c’est le premier danger à chasser, lui là il peut te tuer ! Le reste n’est rien, ça fait toujours comme ça, on a mal aux os pendant un moment et puis ça s’en va. On ne peut pas mourir à cause de cette douleur qui partira toute seule. On s’en fout de savoir si les fourous font ça ou bien les feuilles ou un mauvais génie !

…… Bernard fermait la marche et chantait de temps en temps une très belle mélopée que seul Luc pouvait connaître et comprendre. Les deux pygmées chantaient en chœur par moments, ils échangeaient des sons syncopés sans aucune parole. Ils communiquaient à travers cette musique. Tous les sons de la forêt s’exprimaient par ces voix humaines, celles qui touchent et élèvent les émotions d’une âme à une autre et les illuminent de beauté. Les habitants de la brousse inspiraient à leurs frères humains, un chant qui représente tout ce qui est en elle et que seuls les hommes qui y vivent depuis toujours savent interpréter. Bernard chantait pour encourager les autres sans doute mais surtout pour exprimer sa joie. Je l’entendais, le sentais, les émois se manifestent à travers le son, Bernard savait les révéler. Son chant portait les sentiments qu’il offrait aux génies de la forêt, il voulait partager son allégresse avec eux.

………Le père de Thomas a dit qu’on peut te parler un peu mais seulement le jour que nous connaît que tu vois déjà les lumières dans les arbres. Il est Mitshogo, Thomas aussi. Mes frères Pygmées ont donné ces hommes là Iboga ensemble avec le Bwiti. Les Fangs aussi ont pris ça mais après. Le mot Bwiti vient d’un verbe en langue pygmée, Ébwata, qui veut dire, arriver, déboucher d’une place pour aller dans une autre place. Là où sont les ancêtres. Ils sont partis d’ici pour aller dans le village de Bwiti qui est avec beaucoup de lumières. On peut te dire que le Bwiti est descendu sur terre en même temps que, Dinzona, la première femme. Elle est venue par l’arbre du Motombi, en amenant beaucoup d’instruments de musique. En premier c’est Mungongo, l’arc musical. Elle est descendue dans un fin rayon de lumière. C’est comme ça qu’elle a voyagé pour enseigner aux hommes ce qu’ils doivent faire pour être bons. Les initiés voient des lumières. Dans la place où Iboga t’emmène, c’est à dire au village des ancêtres, des esprits, tu peux trouver la qualité de lumière que tu vois dans tes arbres là. Voir comme ça c’est bien mais ne cherche pas à comprendre ceux qui peuvent te parler. Ne faut pas aller la bas seul, ils peuvent te garder, fais attention et attends d’abord ! Il faut un guide, même plusieurs guides. Si tu es initié, c’est le nganga qui te dira. S’il n’est pas avec toi, c’est mauvais. Ne faut pas aller loin toi-même seulement, tu risques, ce voyage là ce n’est pas en cinq minutes que tu peux le faire ! C’est pour plusieurs nuits avec Iboga. Tu dois rester avec le nganga et aussi d’autres hommes et les vieux initiés qui représentent les mères, celles qui te montreront ce que doit être ta vie quand tu vois la mort. Il faut qu’ils soient tous là pour t’accompagner et pour t’aider parce que tu verras des choses qui peuvent te faire très peur ! Ne cherche pas à entendre ce qu’il ne faut pas écouter ! Le Bwiti est venu pour aider les hommes, il te montrera la vie et la mort, la mort et la vie, les deux sont mélangés ensemble, tu ne peux plus craindre la mort quand tu connais ça. Comprends bien chef, tu vois déjà beaucoup de choses, regarde ça toujours. Tu connais que les esprits sont partout, tu respectes ça, c’est bien. Mais tu dois aussi respecter toi-même, ne cherches pas à aller plus loin toi-même seul.

…..Ressentir un danger sans menaces visibles devient une deuxième nature. On acquiert un réflexe révélé par la vie dans un environnement dont on connaît les périls et ainsi on réveille des comportements inscrits par nos lointains ancêtres en retournant bien après eux vivre dans la forêt. Il m’est arrivé un jour en m’écartant du layon pour contrôler un arbre que Henri hésitait à marquer, de m’arrêter à mi-chemin bloqué dans l’immobilité sans savoir pourquoi. J’obéissais à une force incontrôlable, j’étais soumis à une énergie qui me dirigeait par delà moi-même. J’étais alarmé, inquiet, tous les poils hérissés je percevais un risque. Ma peau se tendait, devenait bouclier comme pour se protéger d’un danger que je ne voyais pas. Mon corps et mon esprit donnaient l'alerte ! « Chef, ne bouge pas ! » Luc était derrière moi, mon arrêt inaccoutumé l’avait rendu plus vigilant. Il me dépassa d’un bond et d’un seul coup de machette fit deux tronçons d’un serpent et de l’arbuste où il s’était entortillé. Un mamba noir ! Un serpent extrêmement venimeux et combatif. Un mètre cinquante de venin mortel que je ne voyais pas et j’allais droit sur lui. Certains de ces êtres délicats allongent quatre mètres de danger irrémédiable et sont capables de bonds impressionnants. Les dimensions de celui vers lequel je me dirigeais suffisaient amplement à m’occire en moins d’une heure. L’arbuste sur lequel il était embusqué était couvert de fines lianes grimpantes portant des feuilles arrondies de la taille d’un petit biscuit, un camouflage idéal pour le serpent, il était pratiquement invisible sauf pour ma sauvegarde aux yeux perçants du Pygmée. J’avais perçu le danger sans pouvoir l’identifier, j’avais entendu un message intérieur et j’avais obéi. Je m’étais arrêté sans rien avoir décidé, c’est ce qui m’a sauvé d’une morsure fatale. Ce n’était évidemment pas moi que cette bestiole attendait, j’étais une proie bien trop importante. Cet arbuste était sur mon chemin, vers l’arbre que je voulais voir et je ne regardais que lui. Je serais forcément passé tout près, je l’aurais sûrement touché et bousculé. Je l’aurais probablement empoigné, saisissant ensemble l’arbre et le serpent pour rendre le chemin plus praticable. Le mamba se sentant menacé, dans un réflexe de défense m’aurait inévitablement mordu !


…Le Pygmée en me parlant de la façon de regarder les arbres, voulait surtout me dire comment parvenir à tout voir en sachant considérer l’extérieur et l’intérieur de toutes choses comme un ensemble unique. Ne pas se contenter des impressions premières pour se convaincre de connaître le tout ni d’aller jusqu’au centre en évitant d’y rester et croire détenir l’unique vérité. Pour être sûr de savoir l’image vraie et oser la transmettre il faut être capable de saisir toutes les nuances inscrites dans la globalité.


Autrement dit et plus brièvement, je leur dois LA VIE !
Et le sens que j’en ai d’elle !
!!!....Ceci est un signe quand je n’ai pas de mots. Comment leur dire, AKÉWA, MERCI ?

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