le Broussard
jeudi 19 août 2010
Ce que je sais des PYGMÉES!
Il y a quatre-vingts mille ans des humains ont choisi de vivre en forêt quand les autres essaimaient vers d’autres horizons. On les nomme Pygmée, pour leur refuser le nom d’homme sans doute vu ce qu’on leur fait endurer. Crainte atavique de ceux qui vivent de et par la forêt et connaissent tout d’elle. D’autres peuples de forêt sur toute la planète subissent le même sort au nom du profit, du pognon, de l’ignominie qui fait qu’il existe des hommes et au-delà des êtres humains qui savent le respect que méritent tous les êtres vivants, du virus invisible au monumental éléphant! Des bushmen et des Aborigènes et tant d’autres à qui l’on dénie le droit à la VIE !!!
Ce que je sais des Pygmées ne se trouve dans aucun livre !
Sinon celui de ma vie en Afrique et celui que j’ai écrit.
Érér’ikamaba La parole de l’arbre, s’il veut bien voir le jour !
Je vous livre quelques extraits d’événements authentiques et vérifiables, seulement pour cela, il faudra quitter son fauteuil, son écran et rentrer en brousse avec moi. Ils m’ont appris à la connaître et à ne pas m’y perdre, et de bien des façons !
Ou bien vouloir me lire et me croire sur parole. Je connais la valeur de ce mot, j’ai expérimenté la mienne et celle des autres …..Mé mya gnéza, je sais pardonner !
……..Bernard le pygmée, un autre de mes professeurs à moitié pygmée, son père était d’une autre ethnie. Il avait tout pris de sa mère, le faciès typique et à peine plus grand que les autres membres de son groupe. Il possédait cette intelligence faite de la connaissance intuitive de la nature. Elle perçait à travers son regard qui témoignait la gentillesse que ces humains là nourrissent, dont ils se nourrissent. Ils ne connaissent rien des fluctuations monétaires ni des cours si variables du pétrole mais savent tout de la forêt. Ils sont de ceux qui transmettent leur savoir par comportement atavique, sans rien attendre en retour, juste pour partager ce qu’ils peuvent enseigner, montrer ou dire. Ils ont des interdits qu’ils respectent et ne trahissent jamais. Ils les honorent en enseignant à ceux qui veulent, peuvent ou pourront peut-être un jour comprendre la forêt et se souvenir qu’elle a donné la vie à tout ce qui est sur terre et auront à leur tour envie de l’aider, de préserver sa beauté, de protéger la vie…..
……Quand il a osé admettre que nous pouvions devenir plus proche, que le blanc supposé chef voulait vraiment connaître ce que lui savait de la brousse, qu’il avait un savoir à transmettre, il s’est senti investi d’une grande responsabilité envers moi, ses ancêtres et la forêt. Il avait un pouvoir ! On lui confiait la surveillance du blanc, a lui le pygmée que même ses frères de couleur considéraient d’habitude comme un être issu d’une race inférieure. Le blanc était content, il était son élève et voulait savoir ce que lui seul pouvait lui apprendre. Nos rapports sont devenus différents quand il a compris que j’avais bien plus besoin d’un guide que d’un garde du corps et d’un banal professeur. Cela faisait une colossale différence ! Il en était conscient et m’a montré, appris la forêt. Il m’a présenté au peuple des arbres avant de me le faire connaître plus intimement. C’était un homme, sincère, un de ceux qui donnent sans attendre que l’on rende quoi que ce soit. Si tu le fais tant mieux sinon lui ne t’en voudra pas. Tu l’aideras peut-être un jour. Si tu ne peux pas, ce n’est pas grave il aura donné ce qu’il peut offrir. Il est bon et généreux, partage avec toi son savoir. C’est dans sa nature, son être. On veut les chasser, les tuer ou les parquer comme tant d’autres, Apaches, Sioux et j’en passe ou pire encore en faire des pantins. Comme ils l’ont fait aux Massaïs et à leurs lions, maintenant presque dressés, mécanisés. Pour l’argent, la bêtise, l’illusion superficielle d’un genre de vie supérieur. Parce que toi là, tu n’es qu’une chose vaguement humaine, je te regarde comme une marionnette et moi super-humain je te donne un peu de monnaie pour que tu t’exhibes et danses sans joie ni envie pour mon seul plaisir. Tout le monde dit que tu n’es qu’un grand enfant alors fais-moi rire. Toi tu ris tout le temps même quand tu souffres de faim et de soif ou des maladies que je t’ai transmises. Pour te récompenser je t’offre du papier avec de jolis dessins en couleur. Regarde ces signes, ce sont des chiffres. Tu ne sais même pas compter, cela ne fait rien. Prends ce bout de papier fait de fibres végétales, tu ne sais pas fabriquer ça, tu vois bien que je suis plus fort que toi. Mais ne me dis pas que je ne peux savoir où est ma faiblesse et sais seulement la masquer, l’escamoter pour mieux ne penser qu’à moi. Tu me donnes l’impression d’être moi-même un brave homme. Les arbres pleurent en silence !
……..N’importe où en forêt ils sont chez eux, ils en savent beaucoup. Ils attrapent tous les gibiers même l’éléphant. Ils ne craignent pas les gorilles ni les panthères ou les pythons qui seraient capables de les avaler vu leurs petites tailles. Ils savent soigner avec des feuilles et des racines, des écorces et des insectes. Ils fabriquent une poudre ou une sorte de pommade avec des têtes de termites qui soigne les infections les plus graves. Les pharmaciens blancs essaient de trouver leurs secrets, les pygmées ne veulent pas révéler ce que leurs ancêtres ont laissé. Beaucoup de gens les méprisent ou les craignent, ils les considèrent comme des sorciers malveillants, ils savent tant de la forêt que les peureux imbéciles les fuient. Pourtant ils sont gentils et accueillants, ils rient tout le temps et pour n’importe quoi, si tu tombes un jour sur un de leurs villages tu verras ! Il n’y a qu’à la chasse où ils restent silencieux, ils peuvent marcher sur des branches mortes ou des feuilles sèches aucun animal ne les entend approcher. Sinon ils sont très bavards et ils chantent souvent, tous les membres du village chantent ensemble chacun avec sa voix. Tu appelles ça des chants polyphoniques, certains blancs font ça aussi ils ont donc quelque chose en commun avec les pygmées !
…….Je n’aurais jamais imaginé avoir froid en forêt équatoriale au point de claquer des dents, je pouvais prendre la mesure de l’expression « trempé jusqu’aux os » Je n’étais pas le seul à grelotter, Bernard décida de faire un grand feu pour nous réchauffer avant de repartir au travail. Je ne voyais pas comment parvenir à faire un grand feu avec du bois forcément détrempé par cette grande pluie.
- Viens avec moi, tu vois les okoumés là-bas ? Allons-y, les autres vont ramasser beaucoup de branches pas trop grosses, on s’en fout si elles sont mouillées. Pierre, vient m’aider ! Tu vois la place où l’okoumé a été blessé, la résine a coulé sur la peau de l’arbre et elle a durci, on va ramasser beaucoup de cette résine. Voilà, maintenant on va mettre des morceaux de branches sur la terre pour que la résine ne la touche pas, il ne faut pas qu’elle se mouille encore ensemble avec la terre. Tu vois il y a beaucoup de résine, maintenant on va mettre tout autour des branches qui vont rester debout, il faut qu’on les pose comme le toit d’une maison et qu’elles se touchent en haut. La résine va brûler tout de suite même si la pluie l’a mouillée. C’est façon alcool qui y en a dedans qui brûle, la résine va chauffer le bois puis le sécher et le bois va brûler, après on ajoute seulement du bois et tu vas voir un grand feu je te dis. La pluie ou pas, ça va toujours brûler et on va se réchauffer !
Il riait Bernard le pygmée devant son grand feu, se réjouissait de la joie d’apporter le réconfort des flammes ! Tout le monde riait ou souriait, selon que l’on était réchauffé ou pas encore. Le feu après l’orage, je ressentais le sentiment de bien-être et de sécurité qu’éprouvaient nos ancêtres au fond de leurs cavernes. Le petit homme de la grande forêt avait réveillé ces sensations. Il ne savait pas très bien écrire ni lire, il se débrouillait avec les mots. Mathématique, physique, chimie, astronomie, philosophie, littérature, des mots peut-être des sons qu’il entendait et dont il ne comprenait ni le sens ni l’intérêt. Mais dans son environnement quelle science, quelle somme de connaissances, quelle efficacité !
…. En souriant il m’annonça qu’il allait en brousse pour trouver des feuilles qui me soigneraient rapidement. Il faisait nuit lorsqu’il revint avec Mme Pierre, il venait juste d’arriver et était fatigué. Il avait dû aller assez loin et tourner partout, partout, pour trouver ces fameuses feuilles qui aiment trop les bas fonds. Il avait marché en trébuchant dans la pénombre pour revenir au village. Il avait préparé une décoction qui fumait dans une gamelle et que je devais avaler. Il me prévint en riant que le goût était très mauvais et que j’allais beaucoup transpirer, uriner et certainement vomir mais je devais tout boire. « La force dans les feuilles va tuer le poison que les fourous t’ont piqué dedans. » C’était vraiment très amer mais mon docteur pygmée riait tant de mes grimaces que je ne voulais à aucun prix gâcher sa bonne humeur, elle était contagieuse et me faisait du bien, j’ai tout avalé. Il était plus qu’hilare en m’annonçant qu’il viendrait au milieu de la nuit pour une deuxième tournée.
C’était la dernière prise de cette soupe amère mais tellement efficace, je bus jusqu’à la dernière goutte le précieux liquide. Il avait bien ri de mes grimaces et semblait plus détendu qu’en revenant de brousse, je posais à nouveau des questions embarrassantes sur la composition du médicament. Il ne riait plus !
- Chef, tu recommences encore avec des questions sur des secrets que je ne peux pas te donner, même pas un petit bout de réponse. Ce que les anciens de ma race nous ont appris pour soigner, même si tu peux me faire du mal, je ne le dirais jamais ! On peut soigner si on veut, ça n’est pas obligatoire. J’aurais pu te laisser comme ça, qui peut savoir que je connais les plantes qui soignent cette fièvre là ? Nous jurons aux anciens qui nous apprennent des secrets de la brousse que jamais on va dire ou montrer à quelqu’un. Sinon on ment à nos ancêtres et là tant pis pour moi, je serais maudit pour toujours. Je peux montrer des petites choses mais ce qui peut sauver, je ne dois rien dire, jamais. C’est la forêt qui te soigne, ce sont ses feuilles avec la force que les esprits ont ajoutée dedans. Elle a aussi des feuilles qui se ressemblent et qui peuvent tuer si tu te trompes. Si je te dis que je t’ai soigné avec plusieurs feuilles différentes, je n’ai pas trahi les secrets mais tu ne peux pas savoir autre chose alors laisse-moi avec tes questions !
…….. Évidemment, impossible de savoir qui des feuilles ou du poison des fourous était à l’origine de cette impotence provisoire. Il ne le savait pas lui-même et c’était sans importance, il fallait avant tout soigner la fièvre !
- Ça c’est le premier danger à chasser, lui là il peut te tuer ! Le reste n’est rien, ça fait toujours comme ça, on a mal aux os pendant un moment et puis ça s’en va. On ne peut pas mourir à cause de cette douleur qui partira toute seule. On s’en fout de savoir si les fourous font ça ou bien les feuilles ou un mauvais génie !
…… Bernard fermait la marche et chantait de temps en temps une très belle mélopée que seul Luc pouvait connaître et comprendre. Les deux pygmées chantaient en chœur par moments, ils échangeaient des sons syncopés sans aucune parole. Ils communiquaient à travers cette musique. Tous les sons de la forêt s’exprimaient par ces voix humaines, celles qui touchent et élèvent les émotions d’une âme à une autre et les illuminent de beauté. Les habitants de la brousse inspiraient à leurs frères humains, un chant qui représente tout ce qui est en elle et que seuls les hommes qui y vivent depuis toujours savent interpréter. Bernard chantait pour encourager les autres sans doute mais surtout pour exprimer sa joie. Je l’entendais, le sentais, les émois se manifestent à travers le son, Bernard savait les révéler. Son chant portait les sentiments qu’il offrait aux génies de la forêt, il voulait partager son allégresse avec eux.
………Le père de Thomas a dit qu’on peut te parler un peu mais seulement le jour que nous connaît que tu vois déjà les lumières dans les arbres. Il est Mitshogo, Thomas aussi. Mes frères Pygmées ont donné ces hommes là Iboga ensemble avec le Bwiti. Les Fangs aussi ont pris ça mais après. Le mot Bwiti vient d’un verbe en langue pygmée, Ébwata, qui veut dire, arriver, déboucher d’une place pour aller dans une autre place. Là où sont les ancêtres. Ils sont partis d’ici pour aller dans le village de Bwiti qui est avec beaucoup de lumières. On peut te dire que le Bwiti est descendu sur terre en même temps que, Dinzona, la première femme. Elle est venue par l’arbre du Motombi, en amenant beaucoup d’instruments de musique. En premier c’est Mungongo, l’arc musical. Elle est descendue dans un fin rayon de lumière. C’est comme ça qu’elle a voyagé pour enseigner aux hommes ce qu’ils doivent faire pour être bons. Les initiés voient des lumières. Dans la place où Iboga t’emmène, c’est à dire au village des ancêtres, des esprits, tu peux trouver la qualité de lumière que tu vois dans tes arbres là. Voir comme ça c’est bien mais ne cherche pas à comprendre ceux qui peuvent te parler. Ne faut pas aller la bas seul, ils peuvent te garder, fais attention et attends d’abord ! Il faut un guide, même plusieurs guides. Si tu es initié, c’est le nganga qui te dira. S’il n’est pas avec toi, c’est mauvais. Ne faut pas aller loin toi-même seulement, tu risques, ce voyage là ce n’est pas en cinq minutes que tu peux le faire ! C’est pour plusieurs nuits avec Iboga. Tu dois rester avec le nganga et aussi d’autres hommes et les vieux initiés qui représentent les mères, celles qui te montreront ce que doit être ta vie quand tu vois la mort. Il faut qu’ils soient tous là pour t’accompagner et pour t’aider parce que tu verras des choses qui peuvent te faire très peur ! Ne cherche pas à entendre ce qu’il ne faut pas écouter ! Le Bwiti est venu pour aider les hommes, il te montrera la vie et la mort, la mort et la vie, les deux sont mélangés ensemble, tu ne peux plus craindre la mort quand tu connais ça. Comprends bien chef, tu vois déjà beaucoup de choses, regarde ça toujours. Tu connais que les esprits sont partout, tu respectes ça, c’est bien. Mais tu dois aussi respecter toi-même, ne cherches pas à aller plus loin toi-même seul.
…..Ressentir un danger sans menaces visibles devient une deuxième nature. On acquiert un réflexe révélé par la vie dans un environnement dont on connaît les périls et ainsi on réveille des comportements inscrits par nos lointains ancêtres en retournant bien après eux vivre dans la forêt. Il m’est arrivé un jour en m’écartant du layon pour contrôler un arbre que Henri hésitait à marquer, de m’arrêter à mi-chemin bloqué dans l’immobilité sans savoir pourquoi. J’obéissais à une force incontrôlable, j’étais soumis à une énergie qui me dirigeait par delà moi-même. J’étais alarmé, inquiet, tous les poils hérissés je percevais un risque. Ma peau se tendait, devenait bouclier comme pour se protéger d’un danger que je ne voyais pas. Mon corps et mon esprit donnaient l'alerte ! « Chef, ne bouge pas ! » Luc était derrière moi, mon arrêt inaccoutumé l’avait rendu plus vigilant. Il me dépassa d’un bond et d’un seul coup de machette fit deux tronçons d’un serpent et de l’arbuste où il s’était entortillé. Un mamba noir ! Un serpent extrêmement venimeux et combatif. Un mètre cinquante de venin mortel que je ne voyais pas et j’allais droit sur lui. Certains de ces êtres délicats allongent quatre mètres de danger irrémédiable et sont capables de bonds impressionnants. Les dimensions de celui vers lequel je me dirigeais suffisaient amplement à m’occire en moins d’une heure. L’arbuste sur lequel il était embusqué était couvert de fines lianes grimpantes portant des feuilles arrondies de la taille d’un petit biscuit, un camouflage idéal pour le serpent, il était pratiquement invisible sauf pour ma sauvegarde aux yeux perçants du Pygmée. J’avais perçu le danger sans pouvoir l’identifier, j’avais entendu un message intérieur et j’avais obéi. Je m’étais arrêté sans rien avoir décidé, c’est ce qui m’a sauvé d’une morsure fatale. Ce n’était évidemment pas moi que cette bestiole attendait, j’étais une proie bien trop importante. Cet arbuste était sur mon chemin, vers l’arbre que je voulais voir et je ne regardais que lui. Je serais forcément passé tout près, je l’aurais sûrement touché et bousculé. Je l’aurais probablement empoigné, saisissant ensemble l’arbre et le serpent pour rendre le chemin plus praticable. Le mamba se sentant menacé, dans un réflexe de défense m’aurait inévitablement mordu !
…Le Pygmée en me parlant de la façon de regarder les arbres, voulait surtout me dire comment parvenir à tout voir en sachant considérer l’extérieur et l’intérieur de toutes choses comme un ensemble unique. Ne pas se contenter des impressions premières pour se convaincre de connaître le tout ni d’aller jusqu’au centre en évitant d’y rester et croire détenir l’unique vérité. Pour être sûr de savoir l’image vraie et oser la transmettre il faut être capable de saisir toutes les nuances inscrites dans la globalité.
Autrement dit et plus brièvement, je leur dois LA VIE !
Et le sens que j’en ai d’elle !
!!!....Ceci est un signe quand je n’ai pas de mots. Comment leur dire, AKÉWA, MERCI ?
lundi 16 août 2010
D'homme à homme
Fin de fête ! Gueule de bois ? Je ressens, demain leur fait peur ! Une rue étroite, des femmes et des hommes !
Une guitare, une main, à l’autre bout du bras, un homme !
Envie, besoin d’air, de gaieté ! À l’autre bout de l’envie, l’autre homme !
Deux regards, deux sourires croisés ! Moitié-moitié, le français y el idioma español, deux hommes !
La musique a vibrée ! Leurs femmes dansaient, ils rythmaient l’air de leurs mains, les hommes !
La rue souriait ! Un moment de joie, de partage et de paix pour ces femmes et ces hommes !
La musique est restée ! Un cadeau en passant, de la part du Gitan, du Rome !
J’ai gardé le bonheur de ces sourires et ces regards croisés, d’homme à homme !
mercredi 11 août 2010
"Les Maîtres" Edgar A. Poe traduit par Baudelaire
The Raven
Edgar Allan Poe
Once upon a midnight dreary, while I pondered, weak and weary,
Over many a quaint and curious volume of forgotten lore—
While I nodded, nearly napping, suddenly there came a tapping,
As of some one gently rapping, rapping at my chamber door.
“’Tis some visitor,” I muttered, “tapping at my chamber door—
Only this and nothing more.”
Ah, distinctly I remember it was in the bleak December,
And each separate dying ember wrought its ghost upon the floor.
Eagerly I wished the morrow; —vainly I had sought to borrow
From my books surcease of sorrow—sorrow for the lost Lenore—
For the rare and radiant maiden whom the angels name Lenore—
Nameless here for evermore.
And the silken sad uncertain rust ling of each purple curtain
Tis rilled me—filled me with fantastic terrors never felt before;
So that now, to still the beating of my heart, I stood repeating
“’Tis some visiter entreating entrance at my chamber door—
Some late visiter entreating entrance at my chamber door;
Tis is it is and nothing more.”
Presently my soul grew stronger; hesitating then no longer,
“Sir,” said I, “or Madam, truly your forgiveness I implore;
But the fact is I was napping, and so gently you came rapping,
And so faintly you came tapping, tapping at my chamber door,
That I scarce was sure I heard you”—here I opened wide the door—
Darkness there and nothing more.
Deep into that darkness peering, long I stood there wondering, fearing,
Doubting, dreaming dreams no mortal ever dared to dream before;
But the silence was unbroken, and the stillness gave no token,
And the only word there spoken was the whispered word, “Lenore!”
This I whispered, and an echo murmured back the word, “Lenore!”—
Merely this and nothing more.
Back into the chamber turning, all my soul within me burning,
Soon again I heard a tapping, something louder than before.
“Surely,” said I, “surely that is something at my window lattice ;
Let me see, then, what thereat is and this mystery explore—
Let my heart be still a moment, and this mystery explore; —
’Tis the wind and nothing more.
Open here I flung the shutter, when, with many a flirt and fl utter,
In there stepped a stately Raven of the saintly days of yore.
Not the least obeisance made he; not a minute stopped or stayed he,
But, with mien of lord or lady, perched above my chamber door—
Perched upon a bust of Pallas just above my chamber door—
Perched, and sat, and nothing more.
Then this ebony bird beguiling my sad fancy into smiling,
By the grave and stern decorum of the countenance it wore,
“Though thy crest be shorn and shaven, thou,” I said, “art sure no craven,
Ghastly grim and ancient Raven wandering from the Nightly shore—
Tell me what thy lordly name is on the Night’s Plutonian shore!”
Quoth the Raven, “Nevermore.”
Much I marvelled this ungainly fowl to hear discourse so plainly,
Though its answer little meaning—little relevancy bore;
For we cannot help agreeing that no living human being
Ever yet was blessed with seeing bird above his chamber door—
Bird or beast upon the sculptured bust above his chamber door,
With such name as “Nevermore.”
But the Raven, sitting lonely on that placid bust, spoke only
That one word, as if his soul in that one word he did outpour
Nothing farther then he uttered; not a feather then he fl uttered—
Till I scarcely more than muttered: “Other friends have fl own before—
On the morrow he will leave me, as my hopes have fl own before.”
Then the bird said, “Nevermore.”
Startled at the stillness broken by reply so aptly spoken,
“Doubtless,” said I, “what it utters is its only stock and store,
Caught from some unhappy master whom unmerciful Disaster
Followed fast and followed faster till his songs one burden bore—
Till the dirges of his Hope that melancholy burden bore
Of ‘Never—nevermore’.”
But the Raven still beguiling all my sad soul into smiling,
Straight I wheeled a cushioned seat in front of bird and bust and door;
Then, upon the velvet sinking, I betook myself to linking
Fancy unto fancy, thinking what this ominous bird of yore—
What this grim, ungainly, ghastly, gaunt, and ominous bird of yore
Meant in croaking “Nevermore.”
This I sat engaged in guessing, but no syllabe expressing
To the fowl whose fiery eyes now burned into my bosom’ score;
This and more I sat divining, with my head at ease reclining
On the cushion’s velvet lining that the lamp-light gloated o’er,
But whose velvet violet lining with the lamp-light gloating o’er,
She shall press, ah, nevermore!
Then, methought, the air grew denser, perfumed from an unseen censer
Swung by Seraphim whose foot-falls tinkled on the tufted floor.
“Wretch,” I cried, “thy God hath lent thee—by these angels he hath sent thee
Respite—respite and nepenthe from thy memories of Lenore!
Quaff, oh quaff this kind nepenthe and forget this lost Lenore!”
Quoth the Raven, “Nevermore.”
“Prophet!” said I, “thing of evil! —prophet still, if bird or devil! —
Whether Tempter sent, or whether tempest tossed thee here ashore,
Desolate, yet all undaunted, on this desert land enchanted—
On this home by Horror haunted—tell me truly, I implore—
Is there—is there balm in Gilead? —tell me—tell me, I implore!”
Quoth the Raven, “Nevermore.”
“Prophet!” said I, “thing of evil! —prophet still, if bird or devil!
By that Heaven that bends above us—by that God we both adore—
Tell this soul with sorrow laden if, within the dist ant Aidenn,
It shall clasp a sainted maiden whom the angels name Lenore—
Clasp a rare and radiant maiden whom the angels name Lenore.”
Quoth the Raven, “Nevermore.”
“Be that our sign of parting, bird or fiend!” I shrieked, upstarting—
“Get thee back into the tempest and the Night’s Plutonian shore!
Leave no black plume as a token of that lie thy soul has spoken!
Leave my loneliness unbroken! —quit the bust above my door!
Take thy beak from out my heart, and take thy form from off my door!”
Quoth the Raven, “Nevermore.”
And the Raven, never flitting, still is sitting, still is sitting
On the pallid bust of Pallas just above my chamber door ;
And his eyes have all the seeming of a demon’s that is dreaming
And the lamp-light o’er him streaming throws his shadow on the floor;
And my soul from out that shadow that lies floating on the floor
Shall be lifted—nevermore !
Traduit de « l’américain » par
Charles Baudelaire
Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je
méditais, faible et fatigué, sur maint précieux
et curieux volume d’une doctrine oubliée, pendant
que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain
il se fi t un tapotement, comme de quelqu’un
frappant doucement, frappant à la porte de ma
chambre. « C’est quelque visiteur, — murmurai-je,
— qui frappe à la porte de ma chambre ; ce n’est
que cela, et rien de plus. »
Ah ! distinctement je me souviens que c’était dans le
glacial décembre, et chaque tison brodait à son tour
le plancher du reflet de son agonie. Ardemment je
désirais le matin ; en vain m’étais-je efforcé de tirer
de mes livres un sursis à ma tristesse, ma tristesse
pour ma Lénore perdue, pour la précieuse et rayonnante
fille que les anges nomment Lénore, — et
qu’ici on ne nommera jamais plus.
Et le soyeux, triste et vague bruissement des rideaux
pourprés me pénétrait, me remplissait de terreurs
fantastiques, inconnues pour moi jusqu’à ce jour ;
si bien qu’enfin, pour apaiser le battement de mon
coeur, je me dressai, répétant : « C’est quelque visiteur
qui sollicite l’entrée à la porte de ma chambre,
quelque visiteur attardé sollicitant l’entrée à la
porte de ma chambre ; — c’est cela même, et rien
de plus. »
Mon âme en ce moment se sentit plus forte.
N’hésitant donc pas plus longtemps : « Monsieur,
— dis-je, — ou Madame, en vérité, j’implore votre
pardon ; mais le fait est que je sommeillais, et vous
êtes venu frapper si doucement, si faiblement vous
êtes venu taper à la porte de ma chambre, qu’à
peine étais-je certain de vous avoir entendu. » Et
alors j’ouvris la porte toute grande ; — les ténèbres,
et rien de plus ! »
Scrutant profondément ces ténèbres, je me tins
longtemps plein d’étonnement, de crainte, de
doute, rêvant des rêves qu’aucun mortel n’a jamais
osé rêver ; mais le silence ne fut pas troublé, et
l’immobilité ne donna aucun signe, et le seul
mot proféré fut un nom chuchoté : « Lénore ! »
— C’était moi qui le chuchotais, et un écho à son
tour murmura ce mot : « Lénore ! » Purement cela,
et rien de plus.
Rentrant dans ma chambre, et sentant en moi
toute mon âme incendiée, j’entendis bientôt un
coup un peu plus fort que le premier. « Sûrement,
— dis-je, — sûrement, il y a quelque chose aux
jalousies de ma fenêtre ; voyons donc ce que c’est,
et explorons ce mystère. Laissons mon coeur se
calmer un instant, et explorons ce mystère ; — c’est
le vent, et rien de plus. »
Je poussai alors le volet, et, avec un tumultueux
battement d’ailes, entra un majestueux corbeau
digne des anciens jours. Il ne fi t pas la moindre
révérence, il ne s’arrêta pas, il n’hésita pas une
minute ; mais, avec la mine d’un lord ou d’une lady,
il se percha au-dessus de la porte de ma chambre ; il
se percha sur un buste de Pallas juste au-dessus de
la porte de ma chambre ; — il se percha, s’installa,
et rien de plus.
Alors cet oiseau d’ébène, par la gravité de son maintien
et la sévérité de sa physionomie, induisant ma
triste imagination à sourire : « Bien que ta tête,
— lui dis-je, — soit sans huppe et sans cimier, tu
n’es certes pas un poltron, lugubre et ancien corbeau,
voyageur parti des rivages de la nuit. Dis-moi
quel est ton nom seigneurial aux rivages de la Nuit
plutonienne ! » Le corbeau dit : « Jamais plus ! »
Je fus émerveillé que ce disgracieux volatile entendît
si facilement la parole, bien que sa réponse n’eût
pas un bien grand sens et ne me fût pas d’un grand
secours ; car nous devons convenir que jamais il ne
fut donné à un homme vivant de voir un oiseau
au-dessus de la porte de sa chambre, un oiseau ou
une bête sur un buste sculpté au-dessus de la porte
de sa chambre, se nommant d’un nom tel que
« Jamais plus ! »
Mais le corbeau, perché solitairement sur le buste
placide, ne proféra que ce mot unique, comme si
dans ce mot unique il répandait toute son âme.
Il ne prononça rien de plus ; il ne remua pas une
plume, — jusqu’à ce que je me prisse à murmurer
faiblement : « D’autres amis se sont déjà envolés
loin de moi ; vers le matin, lui aussi, il me quittera
comme mes anciennes espérances déjà envolées. »
L’oiseau dit alors : « Jamais plus ! »
Tressaillant au bruit de cette réponse jetée avec
tant d’à-propos : « Sans doute, — dis-je, — ce
qu’il prononce est tout son bagage de savoir, qu’il a
pris chez quelque maître infortuné que le Malheur
impitoyable a poursuivi ardemment, sans répit,
jusqu’à ce que ses chansons n’eussent plus qu’un
seul refrain, jusqu’à ce que le De Profundis de
son Espérance eût pris ce mélancolique refrain :
“Jamais, jamais plus !” »
Mais, le corbeau induisant encore toute ma triste
âme à sourire, je roulai tout de suite un siège à coussins
en face de l’oiseau et du buste et de la porte ;
alors, m’enfonçant dans le velours, je m’appliquai à
enchaîner les idées aux idées, cherchant ce que cet
augural oiseau des anciens jours, ce que ce triste,
disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau des
anciens jours voulait faire entendre en croassant
son — Jamais plus !
Je me tenais ainsi, rêvant, conjecturant, mais
n’adressant plus une syllabe à l’oiseau, dont les
yeux ardents me brûlaient maintenant jusqu’au
fond du coeur : je cherchais à deviner cela, et plus
encore, ma tête reposant à l’aise sur le velours du
coussin que caressait la lumière de la lampe, ce
velours violet caressé par la lumière de la lampe que
sa tête, à Elle, ne pressera plus, — ah ! jamais plus !
Alors il me sembla que l’air s’épaississait, parfumé
par un encensoir invisible que balançaient des séraphins
dont les pas frôlaient le tapis de la chambre.
« Infortuné ! — m’écriai-je, — ton Dieu t’a donné
par ses anges, il t’a envoyé du répit, du répit et du
népenthès dans tes ressouvenirs de Lénore ! Bois,
oh ! bois ce bon népenthès, et oublie cette Lénore
perdue ! » Le corbeau dit : « Jamais plus ! »
« Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau
ou démon, mais toujours prophète ! que tu sois un
envoyé du Tentateur, ou que la tempête t’ait simplement
échoué, naufragé, mais encore intrépide,
sur cette terre déserte, ensorcelée, dans un logis
par l’Horreur hanté, — dis-moi sincèrement, je
t’en supplie, existe-t-il, existe-t-il ici un baume de
Judée ? Dis, dis, je t’en supplie ! » Le corbeau dit :
« Jamais plus ! »
« Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau
ou démon ! toujours prophète ! par ce ciel tendu
sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons,
dis à cette âme chargée de douleur si, dans
le Paradis lointain, elle pourra embrasser une fille
sainte que les anges nomment Lénore, embrasser
une précieuse et rayonnante fille que les anges nomment
Lénore. » Le corbeau dit : « Jamais plus ! »
« Que cette parole soit le signal de notre séparation,
oiseau ou démon ! — hurlai-je en me redressant.
— Rentre dans la tempête, retourne au rivage de la
Nuit plutonienne ; ne laisse pas ici une seule plume
noire comme souvenir du mensonge que ton âme a
proféré ; laisse ma solitude inviolée ; quitte ce buste
au-dessus de ma porte ; arrache ton bec de mon
coeur, et précipite ton spectre loin de ma porte ! »
Le corbeau dit : « Jamais plus ! »
Et le corbeau, immuable, est toujours installé,
toujours installé sur le buste pâle de Pallas, juste
au-dessus de la porte de ma chambre ; et ses yeux
ont toute la semblance des yeux d’un démon qui
rêve ; et la lumière de la lampe, en ruisselant sur lui,
projette son ombre sur le plancher ; et mon âme,
hors du cercle de cette ombre qui gît flottante sur le
plancher, ne pourra plus s’élever, — jamais plus !
vendredi 6 août 2010
Éréré kamba mié! L'arbre m'a parlé!
Extrait de, Érér’ikamba La parole de l’arbre
….Bernard avait choisi d’être seul pour partir en éclaireur et s’assurer que tout danger était écarté. Nous avons débouché sur un vaste plateau de forêt primaire aux arbres dispersés, le Kévazingo dont Pierre m’avait parlé occupait tout l’espace, à ses cotés les autres arbres pourtant de bonne taille semblaient malingres, rachitiques. Cet arbre était si large et ses contreforts si hauts qu’évidemment, personne n’aurait pu voir l’éléphant embusqué. Le vieux Pierre pouvait se rassurer, Bernard en riait bien entendu en disant que lui-même n’aurait rien vu, il les aurait peut-être sentis mais personne ne peut voir à travers un tel arbre. Un monument de la nature ! Immense, imposant, un ancêtre énorme du vivant. Ce colosse émanait tant de force et de sérénité, il exprimait tant d’énergie, de sagesse et de majesté qu’en l’approchant on se courbait d’abord, instinctivement et avec respect. Il dégageait la puissance phénoménale qu’il détenait depuis un lointain passé. Je me suis incliné comme devant un vieux sage qu’il faut honorer. Il était là depuis si longtemps qu’il devait posséder la mémoire de tous les arbres vivants et morts, il représentait l’énergie éternelle ensemençant la nature. Cet accomplissement, il en portait les traces sur ses branches et son tronc tâché de blancs, de noirs, de rouges et de bruns, d’auréoles orangées. D’immenses fentes déchiraient sa peau épaisse, elles étaient la marque des blessures qu’il avait supportées, les cicatrices des épreuves que le temps lui avait infligées. Son écorce était couverte de toutes sortes de lianes. Élégantes et fines, habillées de feuilles miroitantes ou très sombres, allumant tous les verts que voyait le soleil. Légères et délicates, composées comme une broderie pour parer de douceur cet immense corps végétal. Épaisses et lourdes, chargées de champignons de toutes formes et couleurs qui lui faisaient des colliers, des bracelets, jaunes, rouges, verts ou orangés. Il portait aussi des fleurs, exhibait celles que lui offraient les lianes et les somptueuses orchidées. Avec majesté il arborait sereinement son arc-en-ciel végétal pour donner de la beauté. Il dominait la forêt, le monde ! Ce qu’il avait pu voir autour de lui pendant qu’il s’élevait avec tant de vigueur, qu’il était allé chercher au cœur de la terre et avait reçu des astres pour devenir si fort, lui donnait une aura d’une puissance si marquée qu’elle devenait langage et je voulais l’entendre. Ses branches épaisses chargées de temps et de patience le rendaient lourd d’un savoir et d’une sagesse immenses. Il pouvait ouvrir sa mémoire à qui voudrait savoir ce qu’il avait enduré pour devenir si grand, si beau. Tel Atlas il portait le monde, quelle force ses bras donnaient à l’univers entier ! Il était l’exemple, la mémoire et la force de la vie. Il avait vu tant de drames et disparaître tant de beautés, résisté à la violence, subi tant d’orages. Il avait su rester droit face aux vents déchaînés capables de le coucher à terre alors qu’il s’élevait. Il avait ignoré, méprisé la foudre qui aurait pu le fendre ou le brûler. Il était toujours debout et préservait son monde de tous les dangers ! Les arbustes qui poussaient doucement non loin de lui comme rassurés par sa présence, exprimaient la paix, la tranquillité, comme s’ils étaient protégés. Cet endroit de la brousse était très clair, on pouvait voir loin, les arbres étaient espacés. Il avait organisé le territoire pour que chacun prospère dans la sérénité. Il était si large que son fût semblait court et pourtant il dominait la canopée. Les arbres à ses cotés en escorte silencieuse lui faisaient allégeance, comme à un grand monarque ils témoignaient leur respect et semblaient l’écouter. Il était le maître, le doyen, l’ancêtre de cet endroit de la brousse, le géant protecteur habité de la puissance des génies de la forêt. En lui était comme dans une bibliothèque immense, la mémoire du vivant, celle que les arbres ont fait naître quand la vie trempait dans l’eau. Je voulais le comprendre, entendre sa sagesse, je la sentais sans pouvoir la saisir. Je n’étais capable que de l’admirer. Je savais qu’il avait tant à dire sans pouvoir le comprendre. En développant tant de force et de puissance il fallait qu’il s’appuie largement sur la terre. Il lui fallait son aide pour tenir droit et regarder le monde où elle l’avait fait naître, regarder les mondes, ceux qu’il connaissait, ceux qu’il était capable de voir. Il se maintenait sur des contreforts très épais qui équilibraient sa masse colossale. À travers ses pieds, comme les appelaient Bernard, l’arbre et la terre exprimaient l’harmonie. Les supports énormes qu’il avait créés transmettaient de la force à toute la forêt, ils pouvaient abriter la vie, la défendre. Entre chacune des cloisons que formaient les contreforts un humain ou un animal pouvait se réfugier ou s’abriter et se cacher. Autour de lui poussaient surtout des niovés, de grands arbres minces et droits dont la sève rouge soigne les plaies. Évidemment auprès de ce titan ils semblaient fragiles mais leurs petites écailles minces et jaune orangé rehaussaient en arrière plan les taches noires, blanches et par endroits rouge vif que portait le géant qu’ils entouraient. Comme s’il était là depuis le début du temps, il inspirait le respect que l’on doit à ces édifices que les hommes créaient et vénèrent pour élever leur piété. Il exprimait la vie, la puissance de la terre, je savais que cet ancêtre pourrait me faire entendre ce que je venais chercher. Il était si grand, si proche des étoiles, c’était forcément ce vivant magnifique qui pourrait me dire ce qui m’attirait vers la forêt avec une énergie si grande et depuis si longtemps, me faire connaître ce que je pouvais apprendre des arbres, avoir une réponse à cette attente mystique à laquelle ils participaient. J’étais ébloui de la force qu’exprimait l’aura de cet arbre, je m’en imprégnais. Je l’ai tant regardé qu’il m’a semblé l’entendre. Une explosion de lumières éclatantes entrait dans mes pensées, je ne percevais aucun message, juste des sensations. Au premier jet de cette énergie, la crainte et la confusion m’envahirent, j’avais l’impression que mon crâne était devenu poreux et que mon être entier allait se répandre aux pieds de ce géant. Mon esprit agité m’imposa le recours aux paroles du vieux Pierre pour se réconforter. « Là lui aussi va connaître que voilà un l’homme qui cherche pour voir moi dedans. Lui aussi il va voir toi dedans, c’est comme ça il peut parler dans la tête pour toi. Quand tu va faire comme ça voilà l’arbre qui parle direct dans ton la tête, ne faut pas peur ! C’est là où tu peux comprendre, regarder tout ce qui y en a dans la forêt » Je flottais dans un espace de lumières, un scintillement de couleurs que l’on ne peut connaître qu’en regardant les étoiles. Elles ne cessaient de tourner et moi avec elles autour de l’arbre devenu axe, pilier central de ce monde. L’atmosphère irréelle abolissait toutes choses familières autour de moi, comme pour me révéler un chemin à suivre et entrer à l’intérieur de l’arbre ! Je percevais des sons inconnus, puissants, une musique véritablement élémentaire, inhumaine, qui était à la fois la voix caverneuse de la terre et l’harmonie des sphères célestes où s’étalait le houppier de ce végétal gigantesque. Elle m’amenait à fondre dans ce corps d’énergies innombrables et me laissant guider oublier le nom d’homme pour voir dans les cellules des fibres couler la vérité essentielle des arcanes de l’être. Regarder le temps sans craindre ses marques éphémères et l’entendre dire l’infini.
- Regarde bien les étoiles, elles te diront d’autres cosmos ! Dans la forêt tu sauras comment les arbres aiment l’univers. Écoute leurs voix, leurs clameurs t’apprendront à voir d’une autre manière et te diront qui tu es. Eux savent ce qu’exister puis ne plus être exprime. Ils savent renouveler leurs vies, la vie, ils en sont l’origine sur terre. Regarde bien les arbres, eux te voient et te diront ta place. Sans eux ta conscience de vie s’étiolera comme les contours diffus d’un arbre tombé flottant dans l’espace vide et creusé d’un linceul nébuleux.
J’ai eu le sentiment d’être envahi par les racines de ce maître de la forêt, comme si elles s’incrustaient en moi pour édifier ma vision de cet arbre fascinant en confirmant la réalité des pensées qu’elle avait fait naître ! J’avais entendu la parole de l’arbre. Éréré kamba myé, l’arbre m’a parlé !
- Chef, allons-y, il ne faut pas rester seul ici ! Il y a beaucoup des arbres que tu pourras entendre, ce n’est pas seulement celui là qui peut tout te dire, tout expliquer. La Forêt est très grande et tous les arbres parlent. Si tu comprends déjà les arbres, c’est bien ! Mais il ne faut jamais se presser, d’abord, comprends bien la forêt, ce que tu cherches tu le trouveras mais il ne faut rien forcer. Les arbres poussent doucement ce n’est pas pour rien, ils connaissent le temps. C’est la première leçon qu’ils donnent et qu’il faut écouter. Personne ne peut jouer avec Egombé, le temps. Il passe, on le respecte, c’est tout. Les arbres font comme ça, il faut suivre ça et tu comprendras beaucoup de choses.
Bernard le Pygmée, était venu réveiller Onong’otangani, le blanc bizarre. Ce petit homme savait très bien ce que je ferais comme s’il me connaissait depuis des millions d’années. Pour lui il était évident que je resterais auprès de cet arbre pour savoir, entendre, puis voyager même si « C’est dangereux ! » Il était revenu sur ses pas pour me ramener sur terre en me sortant de cet autre univers, comme dans le tunnel de lianes où il était venu afin que je ne suive pas dans son monde le génie qui dansait….
samedi 31 juillet 2010
Son nom "Agombiso", celui qu'on n'a pas suivi! Mon plus proche voisin sur le lac Évaro, du coté de Lambaréné Gabon!
Extrait de, Érér'ikamba La parole de l'arbre.
... La boussole m’avait mené plus d’une fois vers des hommes de cette trempe qui avaient choisi de vivre seul en forêt, ils avaient ce même regard intense aussi perçant qu’une javeline immense qui met face à son âme n’importe quel humain ! Ils n’attendaient rien de personne sinon peut-être l’occasion imprévue de parler à un de leurs semblables plutôt qu’à leur fusil ou à leur chien. Ils avaient compris le langage du temps en ne comptant plus ses pas, ils le regardaient sans angoisse dans la course rapide du vent ou la marche lente des nuages. Ils savaient tout de la vie et de son autre facette et ne s’inquiétaient ni de l’une ni de l’autre. Ils attendaient en se débrouillant pour vivre que le ciel et la terre décident de leur sort recherchant en brousse le sens de l’humain, ce qu’ils savaient des avatars de l’existence et de la misère des hommes leur suffisait amplement. Ils redécouvraient la vie au sein de la forêt. Ils n’avaient plus que des besoins simples, un peu de nourriture et du tabac ou pourquoi pas le son d’une voix mais distinguaient toutes les dissonances en fixant silencieusement les yeux chargés de fausse mansuétude. Ils souriaient des regards incrédules face à la sagesse profonde où les menait la vie qu’ils avaient choisie. La différence explosait à travers l’œil de leur conscience et les menait à partager ou non cette science, cette pensée pure que la forêt leur apportait. Ces solitaires savent tout des regards, de tous les regards et reconnaissent d’un trait ce qui fait d’un homme un être humain. Ils voient très clairement à travers l’œil de celui qui pense en être supérieur l’épaisseur de sa médiocrité. Ils ressentent de la tristesse face à celui qui ne saura jamais ni pourquoi il existe ni qu’il doit ne plus être. Eux peuvent tout voir, dire ou expliquer pour peu qu’on leur apporte un peu d’authentique bienveillance ils retrouvent le goût du rire et peuvent tout partager. Ils savent toujours les signes que les humains échangent et la valeur qu’il faut leur accorder. Il suffit de connaître un seul d’entre eux et vouloir l’écouter, d’essayer de savoir sincèrement qui il est pour devenir autre et plus riche d’humanité, en regardant ses yeux on élève son âme, on y voit qui l’on est et son propre devenir. En échange de quelques aliments et d’un minimum de respect, il soigne l’esprit et apprend à reconsidérer les limites fixées à l’univers que l’on croyait connaître. À travers ces hommes j’ai appris en partie ce que vivre et vieillir puis continuer ailleurs son périple singulier représente et veut dire ! ...
L’œil du grand pin.
Mon âme brisée sous la tourmente de souvenirs amers
invoquait le souffle apaisant d’un rivage ombré de hautes dunes
embrassées d’eaux calmes aux vagues alanguies.
Les océans de nostalgies qui hantent mon esprit m’ont échoué où n’existe l’ombre d’un ami
sinon celle d’un grand pin auquel je me confie.
Pilier de l’immuable il est l’axe de puissances enracinées où se lient
entre le ciel et la terre les brins d’espace et de matière que tapisse le temps.
Il porte les mystères des ères intemporelles où le réel transcende l’irréel
et le visible révèle l’invisible.
Auprès de lui je songe et sais l’enfant d’une même terre au murmure
du vent bruissant dans ses ramures
où fondent toutes les voix en ondes de silence bercées d’éternité.
Je l’ai regardé longtemps en m’ouvrant sur son monde.
De fines volutes de fumée légers foulards de brume dansaient
caressant le tronc que mon regard embrassait.
Elles irradiaient en leurs cœurs
un souffle de lumières traçant autour de l’arbre
l’envol de myriades de flèches argentées.
L’arbre magnifié se revêtit de sombre.
Une aura scintillante approcha lentement se parant de turquoise serti de fils dorés.
Sa danse épurée attira une autre lueur lointaine
du fond de ciel ténébreux que l’arbre avait créé.
Un cercle orange très doux aux reflets jaune-clair subtilement mariés
grandit au sein de l’émanation constellée de bleus éthérés.
Les couleurs se mêlant prirent la forme d’un œil à la prunelle orangée
baignant dans l’iris bleuté d’un océan de paix.
Les cils maquillés d’or de cet orbe azuré
s’étiraient dans le noir jusqu’aux voiles diaphanes dont l’arbre était paré.
L’œil élargit ses couleurs enlacées en deux fils irisés
révélant en étoiles nimbées d’aurores ignorées l’harmonie secrète
de galaxies immaculées.
Grand arbre que me dit le silence où s’égrène ton temps,
quel est le message sans mots de ce regard sublime ?
Mes yeux sauraient-ils voir un de ces univers où la sagesse te guide,
pourraient-ils concevoir le cosmos tout entier et connaître ces mondes
où l’esprit sans se perdre peut vagabonder, découvrir, apprendre, aimer la beauté ?
Embarque tout ton être redeviens pur esprit et navigue sans crainte.
Fendant les ondoiements charmeurs des vagues opalines
tu aborderas la paix sur un vaisseau chatoyant d’éternelles euphonies
qui dissipent en tourbillons les pensées insipides !
samedi 24 juillet 2010
DéliCATesse!
Cette ombre auprès de moi,
celle de ma main
caressant l’ombre d’un regard qui ne voyait que moi
me dit que tu es là vigilante à mes pas !
J’élève aux cieux ma main et ton ombre grandie
me révèle d’autres mondes me dévoile d’autres vies ;
Je sais que tu es là !
Je vais de pénombres en soleils d’une marche sereine,
l’empreinte de tes yeux je la sens elle me suit,
amicale lueur du sombre de mes nuits;
Loin derrière mes pas tarissent toutes mes peines
Je sais que tu es là !
Aucun bruit ne m’alerte tu les sais mieux que moi,
Aucun danger ne me guette et j’allonge mes pas
hors les voies obliques des longs chemins de croix;
Je sais que tu es là !
Ma route qui défile esquive en entrechats les ornières perfides,
je ne m’arrête pas.
L’horizon incertain tremble sous mes pas,
une ombre unique s’étire et furtive glisse vers moi ;
Je sais très bien mon chien,
je sais que tu es là attentive à mes pas !
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